Le regard de Marine Chagnon (mezzo-soprano) sur « La Belle et la Bête »

Véritable temps fort de sa saison 2020-2021, l’Orchestre Régional de Normandie crée une nouvelle production du ciné-opéra de Philip Glass « La Belle et la Bête », à partir du film éponyme de Cocteau.
La première aura lieu le 6 novembre prochain au théâtre de Caen avant de donner lieu à une tournée régionale et nationale jusqu’en février 2021.

Les répétitions ont débuté depuis quelques jours à l’Abbaye de Royaumont (Val d’Oise). Les six chanteurs solistes, pour la plupart lauréats de l’Académie de la Fondation Royaumont, partenaire du projet, ont rencontré le chef d’orchestre Jean Deroyer pour commencer à répéter leur rôle. La Belle, Marine Chagnon (mezzo-soprano), nous en dit un peu plus après ces premiers jours de travail.

Qui est le personnage de La Belle et que représente-t-il ?

« J’avais à l’esprit le véritable personnage de conte de fées que représente La Belle. J’ai grandi avec ce conte et notamment avec le dessin animé de Walt Disney qui nous présente une femme archétype de la gentillesse, de la bonté et de la générosité. Et d’une certaine forme de candeur aussi. J’imaginais d’ailleurs une Belle assez identique à La Cenerentola de l’opéra de Rossini dont le sous-titre est ‘Le triomphe de la Bonté’.
Après ces premiers jours de travail, ma vision du personnage de La Belle a vraiment évoluée. Cocteau nous donne à voir une personnalité plus complexe et plus ambivalente. La Belle n’est pas que gentillesse. C’est une femme forte, qui est prête à sacrifier sa vie pour son père. Elle est effrayée d’aller chez la Bête, mais les premiers mots qui lui sont adressés sont ‘Je… je n’aurai pas peur’. La lecture de Cocteau la rend beaucoup plus solide et déterminée que ce que l’on pourrait imaginer. Elle ne se laisse pas faire et impose le droit à son intimité à la Bête malgré sa captivité. Cette nouvelle lecture que j’ai aujourd’hui est liée à l’interprétation et à la personnalité de la comédienne dans le film, Josette Day.
Cela m’a d’abord surprise puis beaucoup interrogée sur ma manière d’aborder et d’interpréter le rôle. La lecture de Cocteau est finalement plus moderne : tout n’est pas blanc ou noir, gentil ou méchant. C’est plus nuancé : la Belle offre une palette variée de couleurs et d’émotions qui la rendent finalement plus humaine que dans les contes de fées. »

Quels sont les atouts et les difficultés de ce rôle ?

« Puisque le personnage est complexe et plein de couleurs, il me permet d’explorer de nombreuses possibilités dans mon jeu de comédienne. Il y a une vraie dimension théâtrale, et pas uniquement musicale, dans ce rôle. La musique de Philip Glass illustre d’ailleurs très bien toutes les nuances de caractère du personnage : la puissance et la force de La Belle sont souvent mises en valeur musicalement.
La partition est difficile et j’ai d’ailleurs été assez effrayée lorsque je l’ai reçue ! Il y a des passages vraiment très rapides puisque l’on doit chanter le texte qui était dit par les comédiens. Mais finalement, les rôles de la Belle et de la Bête (Kamil Ben Hsaïn Lachiri) sont assez lyriques ; nous avons de longues phrases musicales qui permettent de montrer la profondeur des personnages. »

Quelles sont les particularités de ce ciné-opéra de Philip Glass ?

« Ce format de ciné-opéra est très particulier et vraiment différent des opéras sur lesquels j’ai travaillés auparavant. C’est une première pour moi ! Philip Glass a fait un vrai traitement instrumental de la voix. Cela demande de l’humilité car nos voix s’ajoutent aux instruments de l’Orchestre pour avant tout servir le film et s’accorder à son rythme. Nous avons moins de liberté : nous sommes rivés sur Jean (Deroyer) qui est lui-même chevillé au film de Cocteau. En tout cas pour le moment ! Avec le travail et le temps, nous gagnons et continuerons de gagner en liberté.
C’est aussi un travail très intéressant car on ne prend pas en charge seul l’interprétation d’un personnage. Ma voix et mon interprétation doivent en réalité s’adapter à l’interprétation de la comédienne à l’écran. Et finalement, cela ouvre des portes et des perspectives !

Je suis en tout cas ravie de faire partie de cette aventure et de cette équipe de jeunes chanteurs. Je me sens très bien entourée, ils ont tous beaucoup de talent. Cette semaine à Royaumont a été un moment de rencontre artistique mais aussi humaine. »